Pour
apprendre à connaître un homme, il est instructif de regarder sa
femme, dit quelque part Jacques Lacan.
Sa
femme ? Il y a là une ambiguïté qui permet d’entendre à la fois celle avec
qui il est en lien et celle qu’il porte en soi, le féminin en lui. Le plus souvent, cette réalité reste imperceptible
dans un silence qui pourrait être un espace du féminin.
Parfois,
elle se donne à voir sur la scène publique dans la beauté de l’intériorité
et Jordy Savall porte en lui
esquisse et trace de Monserrat Figueras ainsi que Philippe Sollers de Julia
Kristeva. Ces deux femmes, entre présence et absence, à la fois là et effacées,
en particulier derrière leurs créations, pourraient être une représentation
subtile de ce que Derrida nommait « la peut-être venue de
l’autre-femme ».
Mais certains hommes, pris dans une folie de narcissisme, sciemment ou à leur
insu, donnent cela à voir autrement, de façon affichée, une caractéristique de
leurs compagnes étant de représenter pour eux une plus-value. Phallus girls, elles incarnent un féminin affecté, qui, en tant que tel relève du leurre. S’augmenter de sa
compagne est en effet un destin des séducteurs
sociaux, ceux que leur socle statutaire rend visibles et étincelants. Mais
aussi, quelle jubilation pour une femme que de devenir le «prolongement» d’un
homme brillant ! Elle y gagne elle-même en lumière. Y a-t-il prix à
payer ? Que sera devenue la part de l’ombre ? Survit-elle ? Dans
quel ailleurs de la monstration ?
Des exemples nombreux de cette réalité s’inscrivent dans le champ professionnel, politique ou people, et
confinent parfois au ridicule si l’on en vient à se demander, en ce qui
concerne Berlusconi par exemple, quelle est sa femme ?
A
propos de la burqa, cette réalité interroge particulièrement : une femme, ici,
ostensiblement cachée, n’est-elle pas
l’exhibition issue d’une forclusion ? Dans
l’étoffe psychique des promoteurs du cachot textile, il manquerait un
fil du tissage, celui qui rendrait possible ce nouage d’où se représente du féminin en toute absence de quelconques
marqueurs alors que la burqa veut en être une marque
proclamée. Les femmes sous la burqa sont-elles l’expression d’un masculin intégriste pour lequel l’Autre
du sexe et/ou du genre n’existerait
pas ? Absence de sa femme en
l’homme, au-dedans de lui et, corollairement affirmation fanatique du masculin affiché par un vêtement porté
au-dehors.
Un
lien avec les approches de la psychanalyse se présente: ce qui est forclos dans
le champ du symbolique, « fait retour », pour chacun d’entre nous,
dans ce que Lacan nomme le Réel, synonyme pour lui de l’impossible,
c'est-à-dire l’intenable, l’invivable.
J’ai
envie de soutenir que faute d’un mot pour les dire, d’un silence pour les
représenter, d’une présence/absence dans l’intériorité de leurs
compagnons, ces femmes intégralement voilées apparaissent comme
l’extériorisation d’une compacité monocellulaire monstrueuse ne laissant place à aucune
division.
Et
socialement alors ? La difficulté
de l’approche se creuse davantage encore: difficile d’entendre ces
femmes revendiquer leur suppression au nom de la liberté. Ou alors leur seule
possibilité de liberté serait la représentation affichée d’une forclusion dont
leur compagnon serait le siège ?
Dans
les pays d’accueil où le phénomène s’étend, il faut bien qu’un appareil
législatif vienne structurer la réalité avec une double difficulté : d’une
part ne pas museler l’expression d’une option personnelle, d’autre part
ne pas tolérer l’insoutenable qui tend à se dissimuler sous de
divagantes affirmations de liberté, d’épanouissement personnel ou d’aberrante
cause des femmes. Quelle lumière, en effet, pourrait s’insinuer sous la
burqa ? L’ombre, ici, est en excès : elle devient ténèbres, obscurantiste
obscurité.
Une loi dans la double exigence d’accepter et de ne pas accepter se révèle
nécessaire, mais en même temps obligatoirement ambiguë. Dans l’ impossibilité
d’une réponse, qui, comme toute réponse, viendrait suturer la question, du
moins fait-elle qu’on se questionne, en particulier sur la place du féminin dans nos sociétés car il est de
multiples modèles formes et couleurs de voiles.
La burqa n’en est qu’un spécimen parmi d’autres beaucoup moins discernables.
Statuer, et c’est nécessaire, sur le voile intégral pourrait bien représenter
aussi un commode alibi pour ne pas aborder dans le champ public la
question de tous ces autres voiles que
l’on ne veut pas voir et derrière
lesquels on escamote le féminin fût-ce en le surexposant. N.C.
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